Dédé : Christian Quesnel raconte l’homme derrière l’égérie du groupe Les Colocs
Le dessinateur de Saint-André-Avellin Christian Quesnel s’est attaqué dans sa nouvelle bande dessinée (BD) sortie en novembre à un « monstre » sacré de la scène musicale québécoise, André Fortin, dit Dédé, chanteur du groupe « Les Colocs » qui a marqué toute une génération. Derrière l’artiste engagé qui enflamme la scène, c’est l’homme dans sa complexité, sa fragilité avec ses joies et ses démons que le lecteur découvre.
Réalisé à l’aquarelle dans une alternance de couleur bleu pâle aux reflets turquoise et de rouge feu symbolisant l’intensité avec laquelle Dédé Fortin vivait sa vie, « à fond la caisse », les 100 pages de la BD sont recouvertes de dessins et de mots dans tous les sens, un peu en vrac.
La lecture est dense, comme si l’on nous plongeait à l’intérieur d’une tête qui cogite sans cesse, dans les méandres des réflexions de cet homme passionné pourvues d’une grande sensibilité. Les textes écrits à la première personne sont ceux du chanteur, et proviennent de bribes de conversations, d’entrevues, de lettres, de textes recueillis auprès de la famille ou les anciennes blondes comme l’explique M. Quesnel.
Parfois, pour calmer cette frénésie d’images et de mots, le dessinateur offre une pause contemplative à son lecteur, avec de doubles pages quasiment vides de textes, aux couleurs azur et de dessins aux traits fins.
Un succès phénoménal
Pour le bédéiste qui a enchainé les séances de dédicaces, et les entrevues, l’engouement qu’a suscité la sortie de la BD auprès des médias nationaux et du public n’est pas un hasard, et pour cause, André Fortin est une figure emblématique de la scène musicale québécoise.
« Les gens aiment toujours Dédé Fortin, il fait encore partie de l’imaginaire québécois, car c’est un homme qui a transcendé sa propre personne », confie-t-il.
L’homme derrière l’artiste
C’est Lise Raymond, l’attaché de presse de M. Quesnel et auparavant celle des Colocs qui lui a suggéré de raconter la vie du chanteur, en lui fournissant, avec l’aide de la famille Fortin et des amis, toute la documentation adéquate à la réalisation de ce projet qui a duré deux ans. Lui-même n’étant pas un « fan » du groupe, et n’ayant vu ou lu aucun ouvrage au préalable à son sujet, il a pu s’intéresser au personnage sans a priori.
« Les proches de Dédé ont vu des essais, ou des films, mais n’étaient pas convaincus. Certains ne reconnaissaient pas le André Fortin qu’eux avaient connu. Moi, la question que je me suis posée, c’est : qui est l’homme derrière l’icône ? »
Christian Quesnel
Une découverte inattendue 20 ans plus tard
De l’ensemble de l’œuvre, il se dégage un univers poétique et créatif. Le lecteur est soumis à une multitude d’émotions parfois contradictoires, avec des hauts et des bas comme dans la vie, mais pour André Fortin cette vie-là s’est arrêtée brutalement. Avec intelligence et délicatesse, M. Quesnel ne fait que suggérer la disparition sans jamais entrer dans le voyeurisme ou la violence de l’acte. C’est une lettre manuscrite de Dédé à la fin du livre, suivi d’une lettre formelle du coroner, qui raconte en quelque sorte cette « sortie de scène », puis des images depuis le ciel, et plus loin encore.
« (…) Je me vois comme un monstre, je me sens coincé, perdu et je me dis que je recommence toujours la même chose. Je suis placé dans une impasse (…) », écrit André Fortin.
« La lettre de la fin était au fond de sa garde-robe depuis 20 ans ! Cela reflète son état mental dans les dernières heures. C’est ce que je cherchais depuis le début, je voulais comprendre pourquoi il avait fait ça. Quand j’ai vu la lettre, j’ai compris que c’était le morceau qui manquait.» Christian Quesnel
La liberté de vivre à sa manière
Pourtant, ce n’est pas sur une note triste que l’Avellinois veut terminer cette histoire. Il veut souligner l’énergie et la combativité d’André Fortin à travers notamment une lettre « bien sentie » rédigée par ce dernier à la ministre de l’époque Louise Harel.
« Le Québec n’est plus ce qu’il était. Les politiciens qui le gouvernent n’ont plus le courage d’adapter les lois en vue d’une plus grande justice sociale. Ils se les laissent dicter par une poignée de ploutocrates qui ont réussi à convaincre tout le monde que le salut passe par la compétition (…) On ne peut pas faire comme si tout l’monde avait la même ambition et le même désir de rentrer dans le merveilleux monde de la production et de la compétition. Je conçois assez bien que quelqu’un désire vivre une vie tranquille et en paye le prix par sa pauvreté », exprime André Fortin.
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